samedi 29 novembre 2008

L'instant norvégien, deuxième : Etre ou ne pas être (Européen), telle est la question

L'année 2007 a vu l'Union Européenne intégrer la Bulgarie et la Roumanie en son sein. Ces élargissements successifs témoignent la volonté des dignitaires européens d'étendre encore plus leurs valeurs et principes, la promotion d'un idéal de paix et de démocratie. Parfois même, cet idéal d'Europe politique se joue de l'Europe géographique, en témoigne le débat sur l'adhésion de la Turquie. Il est un autre débat, certes moins médiatisé car moins polémique, sur lequel il serait utile de s'attarder quelques instants : l'adhésion de la Norvège à l'UE. Alors que la Turquie fait preuve d'extrême bonne volonté en essayant à tout prix de remplir le très contraignant cahier des charges imposé par une Bruxelles qui feint de ne rien voir, la situation est toute autre en Norvège. Deux vagues successives ont tenté d'attirer les norvégiens dans le giron européen : ces vagues se sont échouées avec fracas sur les rocs référendaires. La démocratie a parlé et le peuple norvégien a dit non à la Communauté Européenne en 1972 (par 53.5% de non), ainsi qu'à sa version évoluée l'Union Européenne en 1994 (par 52.4%). En plus d'être de cuisants échecs pour les gouvernements successifs ardants défenseurs de l'Union, ces référendums ont littéralement scindés la population en deux, d'aucuns allant jusqu'à parler de traumatisme. Pour tenter de soigner une population si profondément touchée, aux grands maux les grands remèdes : le gouvernement a décidé de "mettre au placard" (ça me rappelle quelqu'un ça) la question de l'adhésion à l'UE pendant 10 ans, soit 2004.

Aujourd'hui, cette date a été dépassée depuis maintenant 4 ans, et il semble que la situation ait peu ou prou évolué, de nombreux sondages tendant à confirmer les tendances du passé. Comment expliquer une telle réticence quand toutes les Nations Nordiques voisines (à l'exception de l'Islande) ont, elles, franchi le seuil de la porte Européenne ?

La première des raisons est d'ordre culturelle. Quand on pense Norvège, on a l'image d'une très vieille nation faite de valeureux vikings guerroyant par delà le monde, contre vents et marées, etc. Pourtant, la Norvège est un pays indépendant et souverain depuis seulement un peu plus de 100 ans. Si les royaumes vikings ont bien existé en Scandinavie, ils ont été fusionnés au sein de l'Union de Kalmar (1397-1523) sous direction Danoise. Cette période n'a pas permi aux Norvégiens de former un véritable Peuple Norvégien, dans une nation aux frontières rendues floues. Puis en 1814, à la suite du Congrès de Vienne qui mit fin aux guerres Napoléoniennes, la Norvège fut abandonnée par le Danemark, et contrainte à une alliance avec la Suède. Si elle s'est dotée de sa propre Constitution durant cette courte période de transition, elle n'en reste pas moins totalement dépendante de la couronne Suédoise en matière de politique étrangère. Et ce n'est qu'en 1905 que le Storting (Parlement Norvégien) vote unilatéralement l'indépendance du pays, las de la régence Suédoise, décision approuvée par 99.95% de la popuation par référendum.
Depuis cette date, les Norvégiens ont développé une allergie au mot "union", de peur d'être noyé au sein d'un appareil administratif qui les priverait de leur souveraineté. A cause de sa jeunesse, on a parfois l'impression que la Norvège cherche encore à se forger une identité, pour réellement s'approprier son Histoire, ses traditions et ses valeurs. De fait le patriotisme est très présent et il suffit de lever la tête pour contempler les nombreuses bannières aux couleurs du pays, flottant au bout d'un mât fièrement dressé par les autochtones au milieu de leur jardin.

Il existe une seconde raison à cette réticence européenne, économique celle-ci. Le système économique Norvégien est fondé sur 3 secteurs majeurs : les énergies fossiles, l'agriculture et la pêche. Dans chacun de ces secteurs, les facteurs de production ne sont pas délocalisables, c'est à dire que les entreprises ne peuvent pas s'implanter ailleurs pour chercher soit des matières premières moins chères, soit de la main d'oeuvre moins chère. Or, l'un des avantages de l'Europe économique est de faciliter ces flux pour accroître la concurrence, et donc la compétitivité de la sphère économique. Cet atout européen n'est pas applicable à la Norvège, les clés de l'économie ne répondant pas à cette règle. Par ailleurs, l'Europe économique postule une certaine forme d'absence de régulation des marchés, qui se traduit par des lois strictes encadrant les subventions pour la pêche et l'agriculture, ainsi qu'une application des règles de concurrence pour l'exploitation des richesses naturelles. Là encore, tous ces principes sont peu compatibles avec le cas norvégien : l'agriculture et la pêche sont largement subventionnées, bien plus que ce que la PAC pourrait leur allouer. Du fait de la ruralité du pays, ces deux secteurs ont un poids politique important et ont joué un rôle majeur dans l'issue des référendums de 1972 et 1994. Quant aux ressources fossiles, elles sont exploitées par des compagnies majoritairement aux mains de l'Etat, dans la mesure où ce dernier effectue une redistribution généreuse des revenus qu'elles génèrent. Autant dire que la configuration économique en Norvège n'est pas propice à un rapprochement avec l'UE.
D'autres raisons mérient d'être citées, même si l'importance qui leur est donnée varie selon les uns et les autres. Traditionnellement, le paysage politique norvégien est très diverse, et les nombreux partis existant mettent le mot "compromis" au centre de la vie politique. Or, l'aboutissement d'un projet tel que l'adhésion à l'Union Européenne ne peut être mené à bien que s'il est supporté par une majorité puissante, et populaire. De plus, la culture politique du pays veut que la démocratie au sens "représentativité" prime sur ses autres aspects, au risque de pénaliser son efficacité. Or ce n'est pas la logique de Bruxelles, dont les institutions manquent de transparence selon les Norvégiens. Enfin, depuis son indépendance, la politique étrangère de la Norvège porte le sceau atlantiste plus que la marque européenne. Ainsi, le pays est l'un des membres fondateurs de l'OTAN en 1949, et a, à de nombreuses reprises, participé à des opérations militaires de soutien aux forces Américaines, notamment au nom de la lutte contre le terrorisme.
La combinaison des facteurs culturels, économiques et politiques rend la perspective d'une adhésion à l'UE délicate, et ne semble pas figurer en première page de l'agenda politique Norvégien. Cependant, si rejoindre l'Union Européenne n'est pas à l'ordre du jour, on peut tout de même souligner que la Norvège ne campe pas sur ses positions, et participe à certains projets européens. Elle est par exemple membre de l'EEE (Espace Economique Européen), qui permet une certaine forme de libre échange entre l'UE et les quatre pays membres de l'AELE (Association Européenne de Libre Echange) que sont l'Islande, le Liechtenstein, la Suisse et la Norvège (les deux derniers étant membres fondateurs). Conséquence : 75% du commerce Norvégien s'effectue avec l'Europe. Enfin, la Norvège est aussi signataire de l'accord Schengen, accord de libre circulation entre UE (Royaume-Uni et Irlande non compris), Islande et Norvège. Le pays fait preuve d'une certaine volonté en terme de coopération, tout en gardant son autonomie. Mais alors que l'intégration européenne se poursuit, la Norvège paraît de plus en plus isolée, car éloigné des instances décisionnelles : le pays doit appliquer certaines règles européennes mais ne peut contribuer à leur élaboration. C'est à l'heure actuelle le point sur lequel se focalise le débat européen en Norvège, la question étant "quel équilibre entre coopération et participation ?"
Une chose est sûre, après les échecs de 1972 et 1994, la queston de l'adhésion ne sera pas soumise à l'approbation du peuple avant que les dirigeants soient absolument sûrs d'une issue positive. Et, de source Norvégienne, ce jour n'est pas encore venu...

2 commentaires:

Dons a dit…

Article très intéressant.

Ils ont bien raison tes collègues, au moins je saurais où aller quand ca ira trop loin cette histoire d'Europe :)

Les parapluies de Bergen a dit…

Oui je pense que tu serais bien dans ce pays, bien que les partis de droite soient pas forcément majoritaires...